Fragment : Mèrombre

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Emblèmes

Thyrio
Terraumor

Fragment

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Mèrombre


La langue que parlent les démons est en réalité commune à toutes les entités de ka. Elles en ont une connaissance intrinsèque, puisque cette langue, qu’elles nomment Verbe, est la translation en son des pensées pures.

Mèrombre n’avait pas de bouche. Entendre son Verbe, c’était être traversé par lui, de part en part.


« Pourquoi ? »


Demanda-t-elle, et cette question ébranla le ka de Thyrio. Comment répondre autrement que par la plus transparente sincérité, lorsque la déesse tutélaire de Terraumor vous entourait de sa présence maternelle ?

« Je me sens vide », prononça Thyrio, et ce mot signifiait toute la solitude, l’égarement et la détresse qu’il ressentait.


« Tu as un ka et une Raison. Tu es un démon. »


Dans son Verbe, le mot « démon » était fait des mots « ka » et « Raison », et il était l’antithèse du mot « vide ».

« Ma Raison n’est pas ma Raison », répondit-il, et il disait vrai, car dans ses mots raisonnaient le nom de Citrouille. « Il me faut un cœur. », dit-il, mais dans cette langue, ce mot signifiait bien plus.


« Je t’aiderai, Thyrio. »


Et ceci n’était pas une promesse, mais une vérité. Puis Mèrombre posa une seule question, qui pouvait s’entendre ainsi :


« Que feras-tu lorsque tu l’auras ? »

« Qui seras-tu lorsque tu l’auras ? »

« Quelle sera ta Raison lorsque tu l’auras ? »


« Ai-je intérêt à t’aider à devenir autre, si toi-même tu ignores ce que tu seras ? »


Thyrio médita longuement. Son ka se dilua dans le doute, mais bientôt un cristal de certitude en émergea.


« Je ne serai plus jamais un chasseur de démons. »

« Tu ne peux promettre que le présent. »

« Je… ne suis plus un chasseur de démons. »

« Cette parole scelle ta nature.

S’il en est ainsi, tu n’as plus de Raison.

Es-tu sûr ? »

« Oui. Ce ka n’agit désormais plus sous les ordres de la Loge de Sel. »


« Bien. Désormais, tu n’es plus vide… Tu es… »









« Libre. »









Le temps perdit sa substance l’espace d’un court instant. Une brèche dans la continuité, un moment en dehors, une suspension de l’existence de toute chose. Son ka se nommait Thyrio de part et d’autre de cette discontinuité, mais une infime inflexion, une nuance de voyelle, une discrète variation de texture avait changé, d’un bord à l’autre du gouffre. Le démon qui s’appelait aussi Thyrio ne réalisa pas entièrement la profondeur de cette imperceptible discontinuité.

« Je ne serais libre que lorsque je me serais acquitté de la dette que je viens négocier, avança-t-il prudemment. Mes services passés ne sont qu’une maigre compensation aux torts que j’ai causés… et un gage de ma bonne volonté, tout au plus. »


« Non. »

« Je t’aiderai en retour de tes services passés.

Je te rembourse par ce patronage, sans dette résiduelle.

Et j’ai confiance que tu emploieras ta liberté à réparer les torts que tu as causés au nom de Sel.

Souviens-toi que les graines que l’on plante en pot dépérissent.

Ce sont celles que l’on jette au loin qui prospèrent. »


« Raser Vembrume pierre par pierre ne payerait pas pour toutes les injustices de Sel », commenta sombrement Thyrio.


« … »


Dans le Verbe, le silence est parfois le plus éloquent.

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