Fragment : La Mort de Citrouille

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Les Cauchemars
Vembrume
Thyrio
Citrouille

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La Mort de Citrouille


Citrouille descendait les escaliers de la tour de la Loge de Sel quatre à quatre. Les racines de ses pieds nus glissaient sur les marches, inadaptées à sa morphologie. Tout en essayant de conserver son équilibre, il nouait autour de son corps ligneux le harnais qui portait son arsenal de graines. Il se maudissait silencieusement de n’avoir pas pris plus au sérieux l’alerte de ce matin. On venait de lui apprendre que Vembrume était attaquée par Anémora, et il se savait en retard pour la bataille.

Il manqua de tomber pour de bon lorsqu’il croisa Thyrio, accoudé à une fenêtre de l’escalier. Son ami regardait au-dehors d’un air mélancolique.

« Tu tombes à pic ! Lui lança Citrouille, qui avait réussi à s’arrêter quelques marches plus bas. J’ai bien reçu ton message, et j’ai hâte que tu me racontes ton voyage à Hexa. Mais d’abord, nous avons du travail. Ton retour est une bénédiction.

– Pourquoi faut-il que les pires jours soient si beaux ? » Souffla Thyrio, absent. Il s’arracha à la fenêtre comme à regret et fit quelques pas dans l’escalier. « Ce n’est qu’une diversion…

– Ne pèche pas par optimisme, le sermonna Citrouille en reprenant sa course. Je ne sais pas à quoi joue le Despote d’Anémora, mais il a l’air sérieux. Allons ! Nous sommes en retard !

– J’ai beaucoup réfléchi, depuis ma dernière mission…

– Plus tard, les retrouvailles ! Lança le maître, déjà quelques volées de marches plus bas.

– Te souviens-tu de notre rencontre ? Poursuivit l’élève en descendant, presque avec nonchalance. Pourtant, aujourd’hui, nous nous traitons en pairs, même s’il n’en fut pas toujours ainsi… »

Citrouille ralentit à l’étage de la salle commune. Il sentait bien que quelque chose n’allait pas, mais il doutait d’avoir le luxe de s’en préoccuper maintenant.

« Un démon chasseur de démon… poursuivait Thyrio, toujours dans l’escalier. Avais-tu conscience du véritable problème de Sel ? Ou as-tu simplement vu une opportunité ? »

Malgré lui, Citrouille ne pouvait empêcher les souvenirs partagés dans cette pièce de refaire surface. Les longues discussions tardives sur la marche du monde, sur le Grand Équilibre, et la place que Sel y occupait.

Thyrio le rejoint.

« L’équilibre… commença-t-il comme s’il lisait ses pensées. Tu es le seul de la Loge à répéter ces vieux dogmes, et même toi… »

Il commença à flâner entre les tables, comme s’il parlait aux murs, aux fantômes des absents. Citrouille était déchiré entre l’urgence qui le poussait vers l’escalier, et la nécessité de ramener son ami dans le présent.

« Est-ce bien le moment de philosopher ? »

Thyrio se tourna vers lui, comme s’il s’apercevait soudain de sa présence.

« Le moment ? Dit-il. Oui… Oui, tu as raison. »

Il soupira, passa une main sur son visage, et revint vers l’escalier. Mais avant de le dépasser, il s’arrêta et le regarda dans les yeux, dans les deux fentes obliques de son visage singulier, que détendait le soulagement de voir son ami revenir à ses sens.

« Tu as raison, il n’est plus temps de parler. »

Citrouille vérifia distraitement les nœuds de son harnais et le suivit vers le hall du rez-de-chaussée.

« Il n’est plus temps que d’accomplir cette sale besogne », poursuivit Thyrio sans se retourner.

En posant le pied au bas de l’escalier, Citrouille se figea de stupeur. Par la porte grande ouverte de la tour, il vit entrer des démons portant de nombreuses armes d’obsidienne, qui tintaient les unes contre les autres, au rythme de leurs gestes mesurés. Thyrio marchait paisiblement à leur rencontre, et nul ne fit de geste hostile envers lui. Lorsque l’un d’eux lui tendit ses armes, la stupeur de Citrouille se mua en déchirement.

Le seigneur d’Azaroth acheva de traverser le grand hall de la tour de la Loge, laissa sa cour le vêtir de son armure noire et le coiffer de son casque, et se retourna vers son vieil ami, pétrifié d’horreur.

Thyrio dégaina la Lame aux Deux Crocs avec une infinie lenteur, comme s’il espérait qu’il suffirait de quelques instants de plus pour infléchir l’inéluctable. Puis il la pointa vers son ennemi, et sa cour se hérissa d’obsidienne.

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