Fragment : Résurrection Mécanique

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Emblèmes

L'Horloger
Hexa

Fragment

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Résurrection Mécanique


Assis sur les décombres métalliques, les yeux levés vers les étoiles mécaniques, l’Horloger tentait de se raisonner.

« Tout se déroule selon le plan, se disait-il. J’ai identifié le cœur qui conviendra à Thyrio, et il vient de partir le chercher. Il est dommage, bien que prévisible, qu’il doive détruire une créature mécanique pour le récupérer. J’espère juste que cette entité ne soit pas cruciale au fonctionnement d’Hexa. Probablement un avatar mineur, parfaitement remplaçable. Je suis sûr que Thyrio s’en sortira sans moi. Il reviendra sain et sauf, avec un nouveau cœur, et nous pourrons tous deux retourner au centre d’Hexa et retraverser le portail. Je n’ai qu’à patienter ici jusqu’à ce qu’il revienne. »

Une ombre d’angoisse, pourtant, ne quittait pas sa poitrine. Il continuait à consulter nerveusement sa montre à gousset, dont la grande aiguille pointait invariablement sur « l’heure d’attendre ». Le cadran du délai avançait lentement de « dans un moment » à « bientôt », mais ne cessait de sursauter en arrière, aggravant chaque fois les préoccupations de l’Horloger.

Un bruit régulier ramena son regard vers la surface rouillée de la lune. Dans la vallée, entre les collines de gravats, approchait un grand automate élancé, aux yeux violets, et au corps chrome et argent. Il marchait droit vers lui, mais son pas paisible n’annonçait rien de menaçant. L’Horloger se raidit, mais ne bougea pas. La créature s’arrêta à deux pas et s’inclina. Sans prononcer le moindre mot, elle venait de dire : « Salutations. Mes intentions sont pacifiques. » Le jeune homme, expectatif, inclina le buste en réponse. La machine tendit la main, paume ouverte tournée vers le ciel ; verbe universel de la demande. Interloqué, l’Horloger réfléchit, puis comprit. De sa besace, il exhiba le petit cœur que Thyrio avait abandonné. La main se tendit davantage, tandis que l’autre avança, vide, tournée vers le sol. La créature signifiait clairement : « Je n’ai rien à offrir en échange, hormis ma gratitude. »

L’Horloger baissa la tête. Cette culpabilité n’était pas la sienne, pourtant elle le traversait de part en part. Balayant l’ombre d’une hésitation, il posa le cœur dans la paume ouverte. La machine s’inclina profondément avant de se détourner. Mu par la curiosité, le jeune homme se leva et la suivit, dix pas derrière.

Elle évoqua son mana et l’insuffla au cœur, qui se mit à luire d'une aura violine et à flotter autour d’elle. Alors qu’elle semblait flâner entre les collines rouillées, des volutes mauves extirpèrent quelques débris des monticules qui vinrent valser autour du cœur. Dans son sillage, comme des feuilles mortes soulevées par le souffle de son passage, les pièces rouillées s’assemblaient peu à peu, suivant le rythme de ses pensées. Le tourbillon carmin gonfla, accéléra, dansa autour d’elle, gagnant en densité seconde après seconde, jusqu’à ce qu’il s’évanouisse soudain, ne laissant derrière lui que deux corps enlacés.

L’Horloger fut l’unique témoin des retrouvailles des deux êtres, tête contre tête, mains dans les mains, et de leur dialogue silencieux. Ils s’éloignèrent en direction de la fonderie, et le jeune homme retourna dans la vallée, seul avec ses pensées.

Mourir et revenir avec un nouveau corps. Changer de corps. Plier la forme selon l’esprit. Choisir, pour une fois. Choisir ; être libre. Faut-il en passer par la mort ?

Il leva les yeux vers les étoiles mécaniques et songea : « Et toi, démon ? Que t’arriverait-il, si tu venais à mourir ? »

Questions