Fragment : Le Refus de Tellur

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Azaroth

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Le Refus de Tellur


Dans un monde qui se traversait à pied en quelques heures, les dieux n’étaient pas des entités abstraites et distantes. Les prières ne se lançaient pas avec espoir vers le ciel ; elles s’adressaient à voix haute et recevaient des réponses immédiates. Tellur était le dieu minéral d’Azaroth. Il avait son temple au fond de la faille où coulait le fleuve de lave. Du pas de sa porte, on voyait la grande cascade de lumière qui tombait depuis le cimetière, au bord de la falaise. Un escalier taillé dans la roche descendait des dernières tombes jusqu’au fond du gouffre, et en deux endroits il passait derrière la cascade. Un chemin de cendre battue longeait le fleuve, étriqué entre lave et paroi, puis le franchissait sur un pont de pierre pour se terminer à la porte de Tellur.

Son temple était une unique pièce : quatre murs et un toit d’obsidienne lisse et opaque. Un lit de basalte, une table de granite et un trône de marbre, aux dimensions de leur propriétaire ; tel était l’humble mobilier du seigneur de la terre. Lorsqu’il ne travaillait ni ne se reposait pas, il mangeait : les seules offrandes qu’il acceptait étaient les nourritures terrestres. Comme les démons ne mangent pas par nécessité, presque toute la cuisine Azarothéenne lui était destinée. Il se nourrissait de ce labeur et du ka des prières, et en retour il peuplait la pierre de joyaux et de minerai.

Un jour, le seigneur d’Azaroth daigna se lever de son trône, sortir de sa cité volcanique, descendre l’escalier de pierre et se présenter en personne au temple de Tellur. Attablé, le géant lui adressa tout juste un regard avant de poursuivre son festin quotidien. Ce jour-là, il avait des côtes de salamandres géantes braisées, du miel d’abeilles de feu et du pain de seigle cendré. Sans se répandre en politesses, le seigneur en vint aux faits :

« Je lève une armée en ce moment même, mas nous manquons d’armes. Je veux que tu donnes plus de minerai aux forgerons de l’est. »

Tellur leva la viande qu’il avait dans les doigts pour que le seigneur, dont le casque dépassait à peine la table de pierre, la vit bien.

« Cette salamandre a été chassée avec des flèches d’airain et cuite dans les fourneaux des forges de l’est. Lorsque je n’en aurai plus, j’irai dans les montagnes orientales et les forgerons m’en remercieront. Pas avant.

– Je ne te demande pas de travailler plus, Tellur. Je veux que tu favorises les forgerons plutôt que les joailliers. Le village de l’ouest se passera de tes services pour quelque temps. »

Le géant pris dans sa main une tranche de pain aussi large que le plastron du seigneur et y versa une épaisse couche de miel vermeil.

« Ce miel a été prélevé par un magicien grâce à un sort de sommeil rendu possible par l’améthyste enchantée qui ornait son bourdon. Si je cesse de semer des gemmes dans les montagnes occidentales, les joailliers cesseront de me remercier. Devrais-je aller moi-même risquer la brûlure des abeilles ?

– Ou bien tu te passeras de miel. Plus de minerai, moins de gemmes ; c’est un ordre. »

Tellur posa la viande et le pain, se leva et, les deux mains à plat sur la table, se pencha vers le seigneur.

« Est-ce toi qui tailles mes gemmes et bat mon fer ? Est-ce toi qui m’offres ma viande et mes fruits ? Est-ce toi qui chantes mon nom lorsque ta pioche mord un filon ou brise une géode ? Ori et Occi mangent peut-être dans ta main, mais moi je mange à ma propre table !

– N’insulte pas tes pairs ! Ils se souviennent d’où leur vient leur ka, eux !

– Et d’où leur vient-il ?! Tu n’as plus rien du démiurge, petit seigneur. Où est ton cœur ? Où sont les trois grains de chaos ? Tu n’es plus qu’une armure vide, une ombre sur un trône vacant.

– Méfie-toi, Tellur ; il pourrait t’en cuire. Obéis-moi, et j’oublierais peut-être ta brève insubordination. »

Le seigneur tourna les talons et s’en retourna vers son trône. Le dieu de la pierre se rassit en soupirant. Il termina sa viande et enfila son manteau magique, glissa le pot de miel vermeil dans une poche et une nouvelle miche de pain gris dans une autre. Il sortit de son temple, plongea à travers la pierre et nagea en direction des montagnes de l’ouest, hésitant déjà entre rubis et émeraude, améthyste ou grenat, diamant, quartz, malachite, opale…

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