Fragment : L'Épreuve de Loyauté

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Azaroth

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L'Épreuve de Loyauté


Oyez, belle assemblée, l’étrange récit qui me fut jadis conté. Il eut lieu dans un monde lointain, sur lequel le plus sage d’entre vous ne sait peut-être rien. C’est un monde petit, qu’un dieu tiendrait dans une seule main ; la patrie de mille démons, leur demeure d’airain ; une île de roche flottant dans un néant serein. Nul soleil ne l’éclaire, nulle lune ne le veille, nulle étoile ne l’observe. Mais son cœur est ardant et sa peau de braise ; ses volcans l’illuminent d’une lueur que la suie, en nuages, n’obscurcit. Cette histoire raconte comment son prince, qui fut banni et regagna son trône, dut éprouver sa légitimité et prouver sa valeur à son peuple, obtenant sa loyauté pour des milliers et des milliers d’années.

Un dragon aux ailes aussi vastes que la nuit vint à diriger son vol vers le trône nouvellement reconquis ; apercevant cette île, il la voulut pour s’en faire un nid. Voyant cette ombre noire disperser les noires nuées, le peuple se réfugia dans la cité : ses murs sont les flancs d’un volcan, son chemin de ronde court sur le pourtour de son cratère, dont chaque pic est une tour altière. Par sa porte coule le fleuve de lave qui fend sa contrée en deux hémisphères. C’est au plus profond de ces murs qu’il a sa source, là où le seigneur tient son trône. Dans cette salle tellurique, à la lumière du sang magmatique, les émissaires des deux contrées implorèrent ainsi leur suzerain :

« L’ennemi survola l’Ouest jusqu’au village des Monts de Cendre, où il tua maints d’entre nous et causa un grand ravage.

– L’ennemi survola l’Est jusqu’au village des Monts de Braise, où il tua maints d’entre nous et causa un grand carnage.

– Nos sorts, gravés dans l’obsidienne antique, n’arrêtèrent pas sa marche menaçante.

– Nos armes, forgées dans le sang tellurique, n’entamèrent pas sa cuirasse d’adamante.

– Son bras puissant jeta nos tours à bas et ne laissa que ruine et roches fracassées.

– Son souffle ardent incendia nos forges et ne laissa que cendres et âtres dévastées.

– Seigneur ! Nous t’avons payé sang et labeur : rappelle-toi de ton ka et écrase l’ennemi !

– Seigneur ! Nous t’avons payé cens et sueur : souviens-toi de ton pacte et terrasse l’ennemi ! »

Le seigneur, sur son trône, répondit :

« Ce royaume est mien ; je l’ai légitimement reconquis, par ma force et mon esprit. Je l’administre avec équité, et le régis avec magnanimité. Vous m’avez fidèlement payé cens et ka, et c’est grâce à eux que je chasserai l’ennemi. Je revêtirai vos espoirs et m’armerai de votre colère : toutes vos forces seront dans mon bras lorsque je le frapperai, et il saura combien il est seul face au courage uni. »

On apporta au seigneur son armure. Ses épaules portaient deux masques : la Douleur à sa droite et la Terreur à sa gauche. Son gantelet droit, d’acier noir, emprisonnait un démon de poigne que rien ne pouvait faire lâcher prise, qu’il brandisse une épée ou écrase une gorge. Son gantelet gauche, gravé de runes, abritait mille esprits qui déchaînaient sur son ordre foudre, feu, glace, peste, peur et mort. À sa ceinture on suspendit son épée, qui portait deux crocs près de la garde : l’un, en mordant la chair, insufflait douleur et désespoir ; l’autre, en ressortant, arrachait cœur et âme.

Ainsi armé, le seigneur monta sur les remparts. Le dragon était dressé contre le flanc du volcan, et sa tête, au-dessus du mur, mordait et incendiait ses défenseurs. Le seigneur parla à son bras droit, qui portait la douleur et le gantelet noir :

« Toi qui es ma force, je te donne mon courroux. Porte le ka de ce peuple entier et frappe d’un coup terrible celui qui convoite illégitimement son monde. Va ! Mille démons sont en toi. »

Délaissant l’épée à la ceinture du seigneur, le bras droit s’élança : il courut jusqu’au rempart et sauta. Il brandit son poing ganté de colère ; son coup ne resta point suspendu tel une vaine bravache, mais s’abattit avec force sur la crête de l’ennemi. Ainsi qu’une haute montagne, frappée par la colère divine, s’effondre avec fracas, broyant sous son poids les pins de son flanc et exposant vers le haut ses souterraines racines d’en bas ; ainsi le dragon fut jeté sur la plaine au-devant du volcan.

Le bras droit du seigneur posa son pied chaussé de fer sur l’arrête nasale du vaincu et, se penchant vers lui, lui dit ces paroles amères :

« Tu as été frappé d’un coup de notre seigneur, armé du ka du peuple dont tu convoitais la terre. À présent part pour ne revenir jamais, mais ne laisse pas ta folie m’obliger à quérir mon épée. »

C’est ainsi que le prince qui fut banni et regagna son trône affermit sa légitimité, qu’il prouva sa valeur à son peuple et obtint sa loyauté pour des milliers et des milliers d’années.

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