Jeux VoidPunk

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VoidPunk Flag

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En guise d’introduction : cet article fait suite à « Rules are a Ship ». Bien que ça ne soit pas une lecture requise avant celle-ci, je mentionnerai une ou deux fois la notion de règles “cage-et-navire”.

Je suis VoidPunk

Je suis VoidPunk, et ceci est le coeur des multiples facettes de mon identité. Je ne pourrais pas mieux l’expliquer que le wiki LGBTQIA (vous devriez vraiment le lire (si vous lisez l’anglais), franchement je pourrais juste copier-coller ça ici et me débarrasser de ce chapitre), mais si vous n’avez pas le temps pour quelques mots de plus avant autant de mots, je serai brèf·ve : je ne suis pas humain·e.

Les humains m’ont fait comprendre à de nombreuses reprises que je n’étais pas des leurs, et je m’en fiche. Au contraire : j’ai arrêté de me mesurer à leurs standards, à m’adapter à leurs manière de penser et de parler, et j’ai adopté (et davantage développé) ma propre manière de fonctionner. Ainsi, j’habite l’espace publique, je parle et j’écris en tant que créature, et la frontière entre les humains et moi me semble souvent comme un gouffre civilisationnel.

Plus généralement, les VoidPunks peuvent être déshumanisé·es et marginalisé·es pour leurs genres (ou absence de), orientation (ou absence de), couleurs de peau, neurodivergences, etc.

Pas Assez VoidPunk

Je pourrais me plaindre que beaucoup de non-humains en fiction sont trop souvent humanoïdes, en particulier les “gentils”, notamment les programmes de Matrix (y compris les “méchant” agents), la pléthore de robots humanoïdes (de Terminator à I, Robot), et les omniprésents elfes, nains, aliens verts, aliens bleus, etc, etc, qui honnêtement sont juste des humains avec des oreilles pointues et/ou une couleur de peau inhabituelle.

Je pourrais aussi me plaindre que les non-humains sont souvent accessoires, ou des rôles secondaires, lorsqu’ils ne sont pas tout simplement “la menace”. Mais les personnes noires et queer savent ça depuis longtemps. L’anneau unique de Tolkien, l’« Alien » éponyme, les sempiternels Zombies (en tant que foule uniforme, pas qu’individus), etc, sont de bons exemples d’entités non-humaines, mais n’empèche, ce sont des “méchants”.

Beaucoup de JDR queers touchent à ça, l’exemple le plus connu étant Monsterhearts. Mais quand bien même, tout monstrueux qu’ils soient, les personnages que l’on joue sont des personnes qui interagissent avec des personnes. Pire : nous désirons (style les-règles-sont-une-cage) être humains ; adultes, même. (Les actions matures sont une récompense late-game qui permet de finalement briser la cage du drama d’ado.) Et ceci est au coeur de la différence entre le VoidPunk Queer, et le Queer non-VoidPunk : ce dernier veux être reconnu et traité en tant qu’humain, tandis que le premier rejette sa propre humanité, en disant aux humains d’arrêter de traiter les non-humains (et les personnes déshumanisées) aussi mal. (Blablabla Gaza, écologie et véganisme. Différent article.)

J’ai joué à plein de jeux queers (et je les ai tous adorés, me faites pas dire ce que j’ai pas dit), et pourtant, il me manque quelque chose.

Entités Non-Personne

Personnellement, mon personnage non-humain favori ayant son mot à dire dans le scénario est Mjolnir, et je ne peux pas m’empêcher d’adorer les très rares moments substantiels que le MCU lui a donnés, en particulier sa relation avec Steve Roger. (J’insiste sur le terme “relation”.)

Ce serait un tort de ne pas mentionner “l’essaim alien”, comme les Zergs ou les Tyranides (étrangement populaires chez les femmes trans), comme un autre bon exemple.

Dans le contexte des jeux (on me rappelle que c’est le sujet de cet article), je peine à trouver des exemples où j’ai été mis·e dans la peau que quelque chose d’autre que “quelqu’un”. Les jeux vidéo de stratégie en temps réel me procurent cette sensation d’être une chose qui grandit, avance, se “comporte” (c’est-à-dire interagit avec son environnement) d’une manière suffisamment éloignée de l’expérience humaine. (Être à plusieurs endroits à la fois est central dans cette sensation VoidPunk spécifique.)

J’adore les rôles non-personnage de Belonging outside Belonging. Vraiment. Les Manques, la Nature Elle-Même, le Maelstrom Psychique, etc. Mais ici encore, ce n’est pas assez à mon goût. Ils sont secondaires, sous-développés (comparés aux rôles “normaux” de personnages), ils sont la responsabilité de tout le monde et de personne, et souvent, ce sont “les menaces”. Ce sont plus des fragments d’un MJ divisé que de vrais rôles. J’adorerais voir des jeux Belonging où les rôles non-personnages sont traités comme les rôles de personnes, où ils sont chacun la seule et pérenne responsabilité de quelqe’un·e à la table (tout comme les rôles de personnages traditionnels), et ont leurs propres manières VoidPunk (cage et navire) d’interagir avec le jeu.

Je veux des entités à ma table.

Ce que j’ai fait jusqu’à présent

Je vais essayer de garder cette section d’auto-promotion courte. (Essayer.)

Il y a longtemps, j’ai écrit un… une sorte de livret, en fait, pas à cause de sa longueur, mais parce qu’il ne contient pas d’univers, pas de scénario, et pratiquement aucune règle, juste des descriptions approfondies d’entités bizarres et de leurs pouvoirs non-moins bizarres : les Divinités Archaïques. Aucune n’a un sens de “corps” cohérent, et certaines n’ont même pas de présence physique, visible. Les ereldrins sont de la chair vivante, contrainte uniquement par l’accès à un seul type d’organe (crocs, écailles, ailes, yeux, tentacules ou nerfs). Les yoglins sont des pensées ou des compétences vivantes, ou des entités extra-temporelles / trans-temporelles, or des distorsions spatiales. Les Nhyfhsiens sont une quantité de matière exotique, contrainte uniquement par son état (solide/liquide/gazeuse/…)

J’ai écrit « De Ka et d’Ichor », un PbtA que j’ai surnommé “homéric-fantasy”, où les rôles sont, à part le Héros, plutôt VoidPunk : la Divinité omniprésente, la Région et son peuple, la catastrophe naturelle ambulante Élémentaire, l’Artefact (in)dépendant du héros, les manichéens Ange-et-Démon, et l’antagoniste Fléau. Ce sont tous des tentatives de rôles non-personne, avec chacun leurs manières d’interagir avec et au sein de leur saga collective.

Je suis ces temps-ci en train de travailler sur un self-hack de ce jeu dans un univers SF, où le Héros est devenu le Vaisseau (pas juste le capitaine), et j’ai ajouté les rôles de l’Essaim Alien (j’ai mentionné les Zergs et les Tyranides, n’est-ce pas ?) et l’Ordre Mystique (style Jedi ou Bene Gesserit), en poussant le thème de jouer des communautés entières, ou un essaim sans forme.

J’ai aussi très récemment écrit une sorte de jeu BoB, Némésis, en suivant le livre de recettes du jeu expressionniste, où les seuls rôles sont le Laboratoire (VoidPunk dans le sens d’être un lieu, tout en ayant de l’agentivité dans les descriptions et les actions comme déclencher des pièges ou modifier sa géométrie), la Créature (VoidPunk dans le sens Queer du terme) et le Templier (le contrepoint humain des deux autres). Notez que le rôle non-personne n’est pas un truc environnemental secondaire que les joueureuses partagent. C’est quelqu’un quelque chose à la table.

Et malgré ça, je trouve que je ne vais pas assez loin. Une fois de plus, il me manque quelque chose.

Assymétrie en tant qu’outil VoidPunk

Je dois confesser un autre de mes kinks : l’Asymétrie. Mon travail de fiction est imprégné de cette fascination, et plein à craquer de tentatives et de demi-succès d’application (les différentes manières d’exister à travers le temps est ma forme d’asymétrie favorite). Mais quand j’essaye de parler d’asymétrie entre joueureuses dans le milieu du JDR, elle est souvent confondue avec l’asymétrie entre MJ et PJs. En vrai, je devrais écrire un article entier sur le quoi et le comment de l’asymétrie-PJ que j’ai en tête, mais pour cet article, je me contenterai de dire que je recherche ardament cette asymétrie de nature parmi les personnages, de capacités et de contraintes (cage-et-navire, une fois de plus), de responsabilités narratives. Dans les PbtA et les BoB, les skins, les moves et les responsabilités environnementales sont clairement un pas dans la bonne direction.
Plus+ !

L’asymétrie, poussée assez loin, peut vraiment donner ces rôles et ces interactions non-humaines – ou en tout cas non- humain-centrées. Tout comme les personnes déshumanisées se rencontrent dans les espaces marginaux, et font face aux asymétries entre elleux (parce qu’il n’y a pas qu’une seule façon d’être marginalisé·e), l’asymétrie en jeu reproduit cette communauté de pièces incompatibles afin d’augmenter la diversité des rôles autour de la table, de les rendre à peine capables de parler le même jeu.

Attends, c’est encore un manifeste ?!

À quoi ressemblerait un jeu VoidPunk ? Pour le dire simplement, un jeux VoidPunk serait un jeu qui donne l’opportunité de jouer des entités non-humaines. Plus que ça, il serait décentré de l’humain (dans ses règles, scénario, univers, etc). Et plus que des entités non-humaines, j’aimerais voir des entités non-personnes. Pour vraiment atteindre cet objectif, il devrait avoir des règles (des règles à la fois cage et vaisseau) pour permettre (et restreindre) des interactions avec le monde et les autres entités (PJ et PNJ, humaines ou non) de manières non-humaines. De manières non-personne.

Laissez-moi essayer ce jeu du manifeste auquel tous les cool-kids jouent ces temps-ci. C’est partit.

Un jeu VoidPunk propose de jouer des entités VoidPunk. Une entité VoidPunk a plusieurs traits parmi les suivants. Tous ses traits ne sont pas strictement requis pour être considérée comme une entité VoidPunk. Une entité VoidPunk peut ne pas avoir quelques, voir plusieurs de ces traits.

Une entité VoidPunk doit conserver sa dignité (ou être en mesure de revendiquer sa dignité dans un contexte hostile) et doit avoir au moins une forme d’agentivité. (Et par « une forme d’agentivité », j’irais jusqu’à considérer que les plantes ont « une forme d’agentivité ».) Le jeu, par ses règles et sa dynamique, doit permettre et protéger cette dignité et agentivité.

Un jeu VoidPunk propose des rôles non-miscibles, avec des responsabilités radicalement différentes. L’asymétrie peut aller jusqu’à donner des pans entiers des règles, de l’univers et de la narration à seulement un ou quelques rôles. Les rôles humains dans le jeu peuvent être utilisés pour donner un contraste signifiant aux rôles VoidPunk (tout en restant des rôles intéressant à jouer).

Un jeu VoidPunk décentre l’humain et l’humanité. Si le jeu contient des humains, l’humanité, des humanoïdes et/ou une civilisation similaire à l’humanité, elles ne sont pas le centre de l’histoire. Les enjeux de la narration ne sont pas (en partie ou en totalité) centrés sur les personnages humains ou humanoïdes.

Un jeu VoidPunk a des règles qui contraignent et encouragent les interactions non-humaines, à la fois à travers des interactions significatives entre entités non-personnes, des interactions difficiles entre humanoïdes et entités non-personnes, et des limitations (ou hors-champ) des interactions entre humanoïdes.

Un jeu VoidPunk trouve malgré tout des manières (dynamiques, règles, systèmes…) d’être un jeu, de malgré tout permettre ces interactions ardues et asymétriques entre entités que ne sont pas supposées jouer au même jeu, selon les mêmes règles.

Derniers Mots

Je connais le PvP et le PvE. Je veux du EvE.

Je connais les jeux Queers et le puppy-play de l’ostracisation. Je veux être Autre.
(Un jeu voidpunk-expressionniste jouerait sûrement à fond sur la dysphorie non-humaine, et amènerait la douleur d’être prisonnièr·e du mauvais corps à un tout autre niveau.)

Je connais les elfes, les vampires et les aliens. Je veux des objets, des lieux, des époques, des civilisations… Je veux l’ubiquité, la métamorphose, la transtemporalité…

Je veux savoir ce que ça fait d’être une entité qui n’a aucune notion d’anatomie, de ici, de maintenant… et d’interagir avec d’autres entités largement différentes, et d’essayer tout ce que je peux pour parler les mêmes règles et jouer au même jeu.

Je veux des jeux VoidPunks.

Je veux que vous écriviez des jeux VoidPunks.