Accueil > Non-Fiction > Créativité > Déresponsabilisation face à MJ et son scénar
Bon, aujourd’hui, ça ne sera pas de la grosse théorie, juste moi qui fait ma petite psycho-analyse perso de mes goûts et de mes pratiques dans ce très vaste hobby qu’est le jeu de rôle. Ce qui suit n’est que mon avis personnel, mais au passage j’essaye de défricher quelques idées que je crois un poil plus générales que ça, au fur et à mesure que je trébuche dessus.
Au collège, au lycée et à la fac, j’ai toujours été un·e MJ qui improvisait. J’ai fait plusieurs longues campagnes, mais elles s’écrivaient au fur et à mesure. Chaque séance, j’arrivais avec quelques notes pour des lieux, des PNJs, des situations potentielles, mais passé la première demi-heure de jeu, juste assez pour lancer la machine, j'étais autant en territoire inconnu que mes PJs, et j’improvisais. Lorsque j’ai découvert « Apocalypse World » et ses descendants, ma pratique du jeu de rôle (post-apocalyptique — Haha) est restée globalement la même, mais cette fois-ci, c’était soutenu par le système. Et en ce moment, je suis vraiment en train de faire mon nid dans les « Belonging » et le style Ni Dés Ni Maître.
De toute ma vie, je n’ai jamais eu d’expérience satisfaisante en tant que PJ. Je me disais « t’as pas encore trouvé le bon (MJ) », mais non, vraiment, même un très bon scénar, complètement dans mes goûts esthétiques, mené par un·e MJ expérimenté·e et à l’aise dans l’impro… je décroche. Et pourtant, je sais désormais que ce n’est pas juste une question de jouer un·e PJ plutôt que d’être MJ, parce que j’ai eu de super expériences à jouer PJ-non-MJ dans des jeux sans dés ni maître. Et même, j’adore ça, en fait, porter le masque d’un personnage et jouer du drama ou partir explorer ce qui me chante (ce que la posture de MJ permet beaucoup moins, notamment parce que les PNJs se jouent comme des voitures volées : iels ne sont pas pour moi, mais pour les PJs).
J’ai récemment réalisé que ce qui me laissait cette insatisfaction, au-delà de l’esthétique ou de la dynamique d’un jeu, c’était un sentiment de déresponsabilisation vis-à-vis de la partie qui me tenait au mieux légèrement dissociée, au pire complètement désinvestie et désintéressée, pendant le jeu. Je suis en train, en ce moment même, de remonter la causalité de cette déresponsabilisation, et j’en arrive aux deux grands coupables : MJ et son scénar.
(Attention, je précise que je ne parle pas de MJ en tant que personne, qui pourrait plus ou moins bien faire son boulot, mais en tant que rôle structurel, qu’importe qui remplit cette fonction et comment.)
Lorsqu’il y a un scénario déjà écrit, je me sens dépossédé·e de ma liberté, ou donné une liberté trop factice. Certe, je peux approcher une situation comme je veux, ressentir les émotions que je veux face à ce qui m’est donné, mais puisqu’il y a un·e MJ, je n’ai pas le droit – ou je ne me sens plus autant autorisé·e à projeter mes idées, mes envies, mes inspirations dans l’univers qui entoure mon personnage. Ce n’est pas ma responsabilité. Ma seule liberté se cantonne au cerveau de mon personnage ; même les effets de mes actions ou les choses qui m’arrivent ne m’appartiennent pas. (Pourtant, j’adore le le drama du play to loose / jouer pour perdre, et des fois j’adore rajouter des catas sur mon perso, là où un·e MJ peut parfois être plutôt gentil·le.)
Je me sens déresponsabilisé·e de la narration par la présence d’un·e MJ qui a le dernier mot, et vers qui je me tourne naturellement/inconsciemment pour savoir à quoi ressemble le décors, quel est le résultat de mes actions, quelle est la suite de l’histoire… quand bien même j’aurais une super idée, une envie de creuser un aspect de l’histoire, une curiosité d’aller voir un détail d’un peu plus près.
Je me sens déresponsabilisé·e de la narration par l’existence d’un scénario inconnu : je sais qu’il y a quelque chose de prévu, mais je ne sais pas quoi, alors je n’ose pas partir trop loin dans une direction ou une autre. Je ne vais pas trop faire de drama entre PJs parce qu’on a une “quête” à finir. Je ne vais pas trop faire n’importe quoi avec les PNJs ou le décors parce que je pourrais “casser” quelque chose d’important sans le savoir. Je ne vais pas trop suivre ma curiosité parce que le truc brillant là-bas était peut-être juste du décors, pas un élément important. Je ne vais pas trop sortir du sentier parce que j’ai peur de me cogner dans un mur invisible, de faire du hors-piste sans le savoir, et obliger MJ à me ramener plus ou moins artificiellement dans le droit chemin. Parfois même je vais activement essayer de deviner où le jeu veut me faire aller pour ne surtout pas toucher les murs (ce qui peut m’amener à du self-double-guessing à plusieurs étages).
Parfois, l’existence d’un scénario trop écrit va même pousser ma déresponsabilisation jusque dans les actions de mon personnage : si j’ai l’impression (voire la confirmation) que le scénario est trop linéaire, mes actions en tant que personnage n’ont plus aucun sens, il me suffit de deviner ce qui est attendu de moi, voire de laisser le·a MJ me cadrer, me tirer et me pousser jusqu’à ce que la pièce de théâtre n’ait plus besoin de moi.
Mais même dans les exemples moins extrêmes, savoir qu’il y a quelque chose de déjà prévu fait que je me laisse guider (ou, au moins pire, que j’essaye de deviner où est le sentier pour le suivre bien sagement), et je ne prend plus aucune initiative narrative (idée, invention, suivre une curiosité, une lubie, etc).
Pourtant il y a des MJs qui sont très tranquil·les avec le hors-piste et le fracassage de scénario, et qui comme moi peuvent improviser avec des bouts d’univers et quelques éléments flottants pré-fabriqués… Mais le scénario existe, ce qui implique qu’un chemin existe, même si je ne le vois pas. Je le pense même s’il n’y a pas de murs invisibles. Je me soumets passivement à la hiérarchie familière. Je lâche prise. Du coup je n’essaye même plus, je me désinvestis, et je finis fatalement déçue.
Je l’ai déjà un peu évoqué ici, mais dans mes habitudes (que ce soit en tant que MJ, que PJ, ou que co-créateur·ice sur un jeu horizontal), j’ai tendance à demander régulièrement le consentement narratif aux autres joueureuses autour de la table. Concrètement : lorsque j’ai une idée, au lieu de la jouer directement (ou de jouer pour l’amener sans rien dire), je la propose, en passant par du hors-jeu et de la métacommunication ; je dis où j’ai envie d’aller, quelle dynamique j’aimerais proposer. (C’est particulièremment important pour les interactions directes entre PJs, que ce soit pour de l’affrontement, de l’intimité, ou n’importe quelle dynamique émotionnellement risquée.)
Et malgré ça, dès qu’il y a un scénar ou un·e MJ… Pouf ! Plus rien. Je me laisse porter, je ne propose plus rien, je réponds en décrivant les actions de mon personnage lorsque MJ me donne la parole, et c’est tout. Ce n’est pas ma responsabilité, et juste à cause de ça, je ne peux plus me saisir de cette dynamique.
Je pourrais penser que c’est surtout dû au fait que les jeux avec MJ ont généralement un objectif commun à toustes les PJs, et bien que ça soit clairement un facteur agravant qui étouffe les interactions entre PJs, je sens que ce n’est pas la seule raison.
(On avait dit pas de théorie !! — Ça vaaa, c’est juste une petite liste… ;3)
Essayons de créer un gradient de la quantité de responsabilité qui est octroyée aux PJs (ou qui leur incombe, selon qu’on considère ça comme une bonne ou une mauvaise chose), du format qui offre/demande le plus de responsabilité jusqu’au moins.
À un bout de ce gradient, il y a les personnes qui apprécient ce lâcher-prise, cette absence de responsabilité, qui en tant que PJ préfèrent être sûr·es de toujours avoir quelque chose de disponible à faire, à explorer, à affronter, sans avoir besoin d’inventer soi-même ni d’attendre que MJ bafouille une description improvisée d’un lieu ou d’un personnage qui n’était pas prévu. Il y a aussi les MJs qui préfèrent avoir tout sous la main dès le début, ne jamais se sentir démuni, et n’avoir comme autre responsabilité que de lire le scénario scène après scène (que ce scénario ait été écrit pas quelqu’un·e d’autre ou soi-même quelque temps plus tôt, auquel cas écrire le scénario à l’avance est une responsabilité, mais qui ne se porte pas durant la partie).
À l’autre bout, il y a celleux qui comme moi trouvent les scénarios pré-écrits trop factices et sans (réelle) surprise, celleux qui ont besoin de n’avoir aucun chemin, même aucun objectif, et de pouvoir partir n’importe où, creuser la curiosité, suivre les lubies, sans crainte de casser un scénario, de se cogner à un mur invisible, d’enquiquiner le·a MJ qui avait prévu autre chose et les autres PJs qui ne sont pas venu·es pour ça.
Et bien évidemment, il y a toutes les personnes qui sont confortables au milieu de ces deux extrêmes, qui préfèrent un scénario souple et un·e MJ accompagnant·e, et qui n’aiment pas les murs invisibles, mais qui ne se sentent pas pour autant confortables dans le pur free-form, là où la responsabilité imaginaire leur pèse trop lourdement.
Et du coup, sous ce prisme, mes petites frustrations récentes ne sont dues qu’au fait que je serais catégorisé·e du côté des joueureuses qui ont besoin de beaucoup de liberté narrative.
Fair enough. Problem solved.
Thanks for reading.
Bye.
(On avait dit pas de théoriiie !!! T_T — Haha, tant pis, je suis en train de suivre une lubie ! ;P)
Dans le cadre du jeu de rôle, j’ai envie de nommer « lubie » tout ce qui commence par une curiosité, un attrait inattendu pour une petite chose qui est là, soit parce que quelqu’un·e autour de la table (MJ ou PJ) a inventé (ou lu) un détail, soit parce que tout ce qui était déjà à donné un début d’idée à quelqu’un·e. Mais une lubie ne fait que commencer par ça ; pour devenir une vraie lubie, elle doit être suivie, partagée, enactée. D’où l’importance, à mon sens, de la métacommunication, et de vérifier le consentement narratif des autres personnes autour de la table. Dire « hey, j’ai envie d’aller voir ça d’un peu plus près » ou « oh, ça serrait trop cool si (…), qu’est-ce que vous en dites si on part sur ça ? » Si tout le monde autour de la table est intéressé·e, une lubie peut aller jusqu’à devenir un élément central d’une séance. Tout dépend des attentes de chacun·e.
Bon, bref, je ne sais plus trop où j’allais avec ça. Ceci est une conversation. J’ai dit ce que j’avais à dire. Si vous avez des choses à rajouter, je serais très curieux·se de les entendre. Vous savez où me trouver ! ;)