Fragment : Conte Ternorien

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Les Terres Noires

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Conte Ternorien


La kère dit à la paysanne :

« Jeune mortelle, où vas-tu, seule à travers la lande, à la faveur de la lune ? »

La jeune fille répondit à la kère :

« Déesse, mon cœur est en deuil. Mon seul amour est parti à la guerre, et mon âme sait la sienne égarée dans la lande. »

La kère dit alors :

« Enfant, j’ai entendu une âme égarée. Sa plainte silencieuse guide mes pas vers sa dernière demeure. Suis-moi, si tu veux revoir ton seul amour. »

La mortelle et la déesse parcoururent la lande sous la lune. Elles trouvèrent une tombe de six pieds que les soldats avaient laissée derrière eux. La kère tendit sa pelle d’airain à la mortelle et lui dit :

« Je te laisse l’honneur de déterrer ton seul amour. Le premier visage qu’il verra par-delà la tombe sera celui de son aimée. »

Tandis que l’airain mordait la terre, la déesse souffla les mots qui éveillèrent le mort. La jeune femme saisit la main qui se tendait six pieds plus bas et ramena son aimé dans ses bras.

Ses compagnons lui avaient laissé son uniforme pour linceul, ses chaussures pour traverser l’Érèbe, et une obole pour la kère qui aurait pitié de son âme.

La déesse lui dit :

« Mortel égaré, pour cette obole, je guiderai ton âme jusqu’aux berges de l’Achéron. »

La jeune fille intervint :

« S’il ne peut demeurer parmi les vivants, alors je laisserai le nocher m’emporter avec lui. »

Le soldat prit ses mains fraîches dans ses mains sèches et lui dit :

« Bel amour, tu n’as qu’une seule vie. Bois-la jusqu’à la dernière goutte ; ne la jette pas par dépit. J’irai attendre sur les berges du fleuve et le temps coulera autour de moi. Les passeurs m’appelleront, mais je leur répondrai que j’attends celle que j’aime. Vis et aime comme j’ai vécu et t’ai aimée. Éteins-toi vieille et heureuse ; c’est là mon seul souhait. Si avant de voir l’Achéron tu aimes encore cent âmes, cent-une t’attendront sur ses berges. »

À regret, la jeune mortelle lâcha les mains de son aimé, lui adressa un dernier regard tendre, et laissa la kère l’emporter vers l’autre monde.