Déni

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Contexte

Ce texte, hormis quelques adaptations mineures, a été écrit par [R] pour une personne qui était dans le processus d’accepter sa pluralité.

Témoignage

Ceci s’adresse à tout ce qui doute ; tout ce qui avance avec prudence ; tout ce qui a besoin de comprendre avant de sauter dans le vide. J’aimerais que les entités pulsionnelles, celles qui n’ont aucun doute, ne lisent pas ceci. Sincèrement.

Je suis celle qui a douté le plus longtemps, et qui parfois doute encore. Je suis celle dont la prudence frustre ma part pulsionnelle. Je suis celle qui était là avant. Je suis celle qui a eu peur.

J’étais seule, mais j’avais conscience qu’il y avait des choses dans mon propre inconscient qui ne m’appartenaient pas. Des émotions inexplicables écartées. Des pulsions étrangères réprimées. C’est normal, après tout : il y a la personne que l’on aimerait être, et la personne que l’on est, et le chemin quotidien de l’un vers l’autre. Je pense qu’absolument tout le monde possède ça. Freud aurait son mot à dire. Mais il y a certaines personnes qui sont coutumières de l’introspection, ouvertes à l’étrange, disponibles aux remises en questions. Et peut-être que pour ces personnes, la pluralité endogénique n’est rien de plus que l’écoute respectueuse de l’inconscient par le sur-moi. Peut-être que la pluralité n’existe pas, et qu’il n’y a rien de plus que ce jeu de rôle intime qui cherche à équilibrer toute la complexité d’un cerveau humain. Et si c’est le cas, ainsi soit-il. Je n’y jouerai pas moins.

Je ne suis pas plural. I’m just a kid with too much free time. Restons ici, pour l’instant, dans ce paradigme rassurant. Je ne dis pas que c’est une illusion ; après tout, il n’y a pas de « bon » côté du miroir. Je ne suis pas plural : j’ai juste joué à ce jeu qui consiste à écouter avec respect et curiosité les pensées qui provenaient de mon inconscient. Le jeu est devenu très intéressant lorsque mon inconscient m’a expliqué en détail les raisons des émotions étranges que je ressentais. Le jeu est soudain devenu terrifiant lorsque mon inconscient a voulu m’imposer des décisions pulsionnelles avec lesquelles je n’étais pas d’accord.

J’ai eu peur. J’ai eu besoin de beaucoup de temps ; j’ai eu besoin de beaucoup de contrôle, de garanties, d’expérimentations, d’explications. J’ai petit à petit accepté ; j’ai réussi à trouver l’humilité nécessaire pour accepter. Et je n’ai pas été seule dans cette quête : une personne extérieure m’a aidée autant qu’iel a aidé mes autres alters. J’ai trouvé l’humilité d’accepter qu’il puisse y avoir en moi des pulsions de vie plus vastes que moi. J’ai été terrifiée par la personne que ces pulsions de vie voulaient faire de… moi. J’ai été terrifiée par la personne extravertie, impulsive, careless que je me voyais devenir. Mais j’ai été fascinée par son audace, sa créativité, ses ambitions… Par toutes ces choses dont je n’étais pas capable, mais dont « elle » semblait capable. J’ai aussi été rassurée de constater que je ne disparaissais pas : « elle » avait toujours besoin de mes analyses, ma planification, mon endurance. D’un certain point de vue, j’étais augmentée par la force de ces pulsions auxquelles je laissais peu à peu libre cours… Et j’ai été rassurée de constater que j’étais toujours en contrôle, que ces pulsions écoutaient et suivaient mes règles, mes limites, et qu’en retour elles ne se cachaient plus dans les profondeurs de mon inconscient, qu’elles jouaient franc-jeu. Je crois que les humains appellent ça… « assumer ».

Voilà. La narration s’arrête ici, pour ce côté-ci du miroir. De l’autre côté du miroir, ce n’est qu’un vaste jeu de rôle, où je prétends être plusieurs, ou je segmente mon humaine complexité entre plusieurs personnages, où je laisse débattre mes contradictions à voix haute, où j’assume plus facilement mes pulsions sous un autre nom. C’est un peu comme une drama-thérapie. Mais c’est une fiction qui requiert tout le sérieux nécessaire, parce que les émotions vécues dans un jeu sont très réelles. Il faut avoir autant de respect pour les personnages fictifs que pour les « vrais » gens.

Après tout, il existe un autre miroir, et l’autre côté de cet autre miroir considère que moi, ici, je ne fais rien d’autre qu’utiliser la médecine moderne pour pousser un peu loin le jeu de rôle quotidien dans lequel je prétends être une fille. Étrangement (sarcasme), je ne tiens pas à savoir où est la soi-disante réalité. Je me contente de trouver incroyable que beaucoup de choses fassent infiniment plus de sens lorsque je considère ce « jeu » comme la réalité.

J’ai fait le choix de briser ce miroir. Je ne reviendrai plus en arrière. Je suis plural. Je partage ce corps et son espérance de vie avec d’autres personnes qui me sont très différentes, parfois de manière irréconciliable. Mais nous avons la conviction que nous sommes bien plus, ensemble, que si nous avions fait un seul choix parmi ces contradictions.

You know, the good games, the really good ones… they change you.