Révélation Irréversible

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Réversible

Je ne veux plus entendre le mot « réversible ». Je suis blessée. Je suis en colère.

Je ne fais pas une transition. Ce n’est pas un changement. C’est une révélation.

On peut revenir en arrière sur une transition. Comment peut-on revenir en arrière sur une révélation ? Jamais je ne reviendrai en arrière, parce que ce serait recommencer à mentir. Ce que vous avez vu de moi jusqu’à présent était une forme imparfaite ; une image qui ne collait pas tout à fait à la réalité. J’étais moins que moi, et jamais je ne redeviendrai moins que moi. Ça n’a pas de sens. Je ne m’éloigne pas de moi, je m’éloigne de ce que vous avez perçu de moi jusqu’à présent, en me rapprochant de ce que je suis réellement. Et vous me voyez – et me verrez – un peu plus comme je suis réellement.

J’ai joué votre jeu en vous rassurant : « non, ce n’est pas irréversible » ; « ce n’est pas forcément définitif » ; « je pourrais revenir en arrière si je regrette ». Regretter quoi ?!? Comment pourrais-je regretter de paraître plus proche de ce que je suis réellement ? Comment ai-je pu vous laisser croire que c’était réversible ? Comment puis-je vous laisser croire qu’une révélation soit autrement que définitive ?

La vérité, c’est que j’aurais préféré que ce soit irréversible. Peut-être alors auriez-vous compris dès le départ le sens profond que ça avait pour moi. Ce n’est pas une transition, mais une révélation.

Vous ne m’avez encore jamais vue telle que je suis réellement. Et à vrai dire, moi non plus. Je vous en supplie, ne vous accrochez pas à cette illusion. Je sais que c’est dur, parce que vous avez l’impression d’un changement immense. Rien ne change ; ce n’est qu’une illusion qui disparaît.

J’ai hâte.

Pas vous ?

Tatouage

Je vis ce projet comme un tatouage. Il va modifier mon corps, et pour moi, de manière permanente. Pour quelles raisons des personnes se tatouent ?

Parfois, c’est pour s’approprier son corps. Pour déclarer haut et fort « ce corps est à moi, et moi seul·e ait le droit de le modifier ». C’est un acte émancipateur de se marquer soi-même, comme au fer, d’enacter, de graver définitivement sur soi cette liberté. C’est jouir très concrètement du droit à l’autodétermination.

Parfois, c’est pour montrer une appartenance ou une affinité. C’est couvrir son corps de symboles qui nous parlent personnellement, et qui parleront aux personnes qui nous ressemblent, qui partagent nos références, notre culture. C’est comme couvrir son sac de patches geeks, de porter un symbole religieux, de brandir un drapeau politique. C’est dire à tous ceux qui nous regardent : « voilà qui je suis, voilà ce qui me plaît, et si ça te parle aussi, c’est qu’on est du même clan. »

Parfois, plus rarement, c’est pour créer une cicatrice. Certaines épreuves laissent des marques dans le corps, et elles se voient. Voir la cicatrice d’une personne, c’est être le témoin d’une épreuve passée de cette personne. Souvent, la vie laisse des cicatrices invisibles dans l’esprit, dans l’âme. Il y a des traumas qui ne se voient pas ; des blessures du cœur dont personne n’aura conscience. Parfois, certaines personnes choisissent de marquer leur corps d’un symbole qui parle de leur passé, de leurs épreuves, de leurs blessures invisibles, et ainsi les rendre visibles.

Je vais modifier mon corps. Définitivement.

Je veux m’approprier ce corps pour qu’il corresponde plus à ce que j’aimerais qu’il soit, selon mes critères, et personne d’autre n’a son mot à dire. Mon corps, mon choix.

Je veux aussi montrer qui je suis. Je veux que mon clan me reconnaisse. Je veux que les loups qui traversent le blizzard sachent que je suis un loup et que nous allons dans la même direction, et que l’on peut se serrer les coudes et avancer ensemble.

Je veux également porter cette cicatrice. Je veux que mon corps raconte ce que j’ai traversé – et ce que je traverserai encore d’ici là. Je veux qu’il dise ce que j’étais, ce que je suis, ce que je suis devenu ; qu’il soit témoin de ce que j’ai fait.

Qu’y a-t-il de réversible dans tout ça ? Qu’y aura-t-il à regretter dans dix ans ? Dans cinquante ans ?

Mutations

La chenille contient déjà la forme du papillon. Je portais déjà ce changement en moi depuis longtemps ; il ne s’était pas encore entièrement révélé. Il lui aura fallu la terre, le soleil et l’eau propices à ce qu’il se réalise. C’est une nouvelle forme qui fend une vieille mue. Nul ne revient en enfance ; un papillon ne rampera plus jamais ; un serpent abandonne ses anciennes peaux.

Mais je ne perds rien ; je rajoute. C’est comme un arbre qui grandit ; l’arbrisseau est toujours là, au cœur du chêne centenaire. Tout comme je garde en moi l’enfant que j’ai été. Ce n’est pas moi, qui change ; c’est mon apparence. Elle devient plus qu’avant. Moi, je ne vais nulle part. Je ne change pas. En tout cas pas plus cette année que l’année dernière.

Je change parfois d’avis en entendant des choses intéressantes, parfois je change de regard sur le monde lorsque je vis une nouvelle expérience. En réalité, je change de "lieu" – je me déplace. Et en ce moment, je me déplace à travers le genre. Mais moi, cet être qui est né il y a des années et qui mourra un jour, moi, je ne suis pas soudain quelqu’un d’autre. Je garde mes qualités et mes défauts, mes goûts, mes compétences, mes projets.

C’est tout ce qu’il y a autour, qui mute. C’est une nouvelle sleeve, une nouvelle coiffure, un nouveau manteau.

Et tout ça continuera à muter. Je continuerai à grandir. À apprendre. À découvrir. À rencontrer.

… et à changer de coupe de cheveux.