From Male and Back Again

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Ce texte est une version retravaillée, redécoupée et recontextualisée de quelques emails échangés avec un·e ami·e pour qui la question du genre est également vaste.

Fuir la Masculinité

Je ne peux pas le nier, je suis en train de fuir ma masculinité. En vérité, c’est plutôt la masculinité elle-même, que je fuis. Autant celle que je subis de la part des autres que celle que j’inflige malgré moi. Je me tiens loin de celle des autres et j’essaye de faire tout mon possible pour adoucir celle qui est en moi. Je fuis aussi la pression que la société fait peser sur la masculinité. La répression des sentiments, l’injonction à la domination, l’intolérance à l’échec…

Dans une conception binaire du genre, il n’y a qu’une seule échappatoire à la masculinité : la féminité. (Qui a aussi ses oppressions et ses combats, mais bref.) Étant genderfluid, mon but n’est pas de devenir définitivement femme, mais lorsque je cherche à prendre une expression de genre purement féminine (et pas juste androgyne), je me retrouve face aux mêmes difficultés. Dans cette optique, je reste limité·e à un modèle de genre unidimensionnel : féminité et masculinité sont mutuellement exclusives. Je peux rester androgyne, « fifty-fifty », mais pour atteindre l’autre bord du spectre, je dois éliminer toute trace de ma masculinité.

J’ai quelques éléments de vêtements très féminins que je ne porte pas. Décolletés, bras nus, jambes nues… La juxtaposition de ces tenues très féminines et de ma pilosité très masculine me rappelle assez cruellement que cette expression de genre me restera inaccessible sans une transformation drastique, que je ne suis pas encore prêt·e à accomplir. Je le vis comme « ma masculinité innée (que je n’ai pas choisie) m’interdit une expression de genre que je désire ». Je sais que je suis capable d’avoir une expression de genre féminine (et ce sera d’autant plus vrai lorsque je me serai débarrassé·e de ma barbe), mais pas “cette” expression de genre féminine. D’où une certaine aigreur vis-à-vis de ma masculinité, et notamment de ma pilosité.

Un Regard en Arrière

Pourtant, il se passe des choses étranges, dans mon voyage vers la féminité. Plus je constate que je suis capable de me départir de ma masculinité, moins je la rejette, et plus je deviens apte à l’accepter et à me la réapproprier. J’en suis presque au point où je peux m’en défaire entièrement, et il m’est beaucoup moins pénible d’y revenir, même pleinement, simplement parce que je sais que ce n’est plus une fatalité. (Comme le dit l’adage, ce sont les oiseaux dont la cage est toujours ouverte qui reviennent de temps en temps.)

Je suis fluide ; je ne veux pas quitter définitivement ma masculinité. Mais je ne veux pas de cette masculinité dominante. Je veux la travailler, en faire quelque chose d’autre. Une sorte de masculinité alternative, qui ne soit ni oppressive ni toxique. Mais si je me limite à une vision unidimensionnelle du genre, à une vision linéaire, il n’y a qu’un seul chemin vers la masculinité : le chemin inverse. Moins de féminité, repasser par la case « androgyne », et nous revoilà au point de départ. La solution, je pense, est d’ouvrir ce modèle, de passer à une conception bidimensionnelle du genre, où masculin et féminin sont des curseurs indépendants. À partir de là, il y a d’autres voies, d’autres perspectives qui s’ouvrent. La direction « a-genre » est l’une de ces voies, mais ce n’est pas celle qui m’intéresse, dans une optique de retour vers la masculinité. L’autre direction est celle qui retrouve la masculinité, mais sans se départir de la féminité. Pas en retournant sur ses pas, vers l’androgynie et le « un peu des deux ». Non ; c’est quelque chose d’étrange, et je ne pense pas que notre langage ait encore trouvé de mot pour en parler. Dans la vision bidimensionnelle du genre, c’est l’angle « beaucoup des deux ».

Beaucoup des Deux

Il est possible de créer des oxymores harmonieux, de juxtaposer deux contraires d’une manière qui les renforce sans les annuler. J’en viens à l’anecdote qui a motivé l’écriture de ce texte.

J’étais à un tournoi de Magic, à portée de bus de Toulouse. Pas une seule AFAB dans la compétition. Soixante mecs cis, et moi : entièrement féminine, hormis une ombre de barbe, un torse trop plat et encore quelques détails. Et partout autour de moi, une proportion de pilosité faciale loin au-dessus de la moyenne. C’était comme si toute la responsabilité de la féminité de cette salle m’incombait entièrement. (J’en rajoute, hein. En vrai, je l’ai très bien vécu. Mais quand-même.) J’étais donc dans cet état ; pas mal à l’aise, mais pleinement conscient·e de la situation (soixante barbus et moi), et chaque aperçu fugace de ma silhouette dans une vitre me rappelait ma singularité. Après le tournoi, je suis ressorti·e avec un résultat inespéré qui m’a mis·e de bonne humeur, et je me suis retrouvé·e seul·e avec mes pensées à attendre mon bus. Ma chance m’a finalement abandonné·e : le prochain passait dans 55 minutes. C’est probablement ce sentiment d’agitation contenue qui m’a fait prendre une décision parfaitement irrationnelle. Au lieu d’attendre sagement mon bus à l’ombre en bouquinant pendant une heure, j’ai sorti mon GPS et marché en direction de Toulouse sous le plein soleil. (Spoiler : j’ai pris le même bus, une heure plus tard et cinq kilomètres plus loin.) Entre la chaleur, la solitude relative d’un dimanche après-midi et ces questions de genre dans la tête, j’ai fait une “expérience”. J’ai ouvert le col de ma chemise. Pas juste un bouton ; jusqu’en dessous du plexus et clavicules à l’air. Pas techniquement torse-nu, mais selon mes standard, pratiquement la même chose. Nous y voilà ; un oxymore ambulant : cheveux longs, jupe, maquillage, boucles d’oreilles… torse nu, pilosité. Plus aucune chance de “passer” ; plus même la prétention d’essayer ; et pourtant, très féminin. Tellement peu masculin, et pourtant tellement visiblement homme.

Je pense que là, à ce moment, j’ai compris quelque chose. Un élément ; un fragment. Une illumination fugace. Être radicalement en dehors du schéma binaire, et jusqu’à questionner le schéma linéaire ; pas juste quelque part entre les deux, pas juste cis ou trans ni même discrètement androgyne. Encore en dehors. « Beaucoup des deux ». Mais pour ça, il m’a fallu abandonner toute prétention à “passer” pour un genre ou pour l’autre. En l’occurrence pour femme, mais un homme trans avec, pour l’exemple, un soutien-gorge affiché, aurait fait le même effet. Passer n’est plus le but. C’est autre chose, entièrement.

Et, personnellement, c’est quelque chose que je suis en train de m’approprier, lentement. Je ressors de cette réflexion, de cette “expérience”, avec un nouvel objectif. Pas en remplacement de l’ancien ; je continue ma quête de « féminité indubitable ». Je suis fluide : je poursuis cet objectif en plus de l’autre. En plus de mon travail sur mes expressions de genre « masculinité alternative » et « androgynie discrète », qui me sont déjà accessibles. Lorsque je l’aurai raffiné, j’ajouterai un nouveau masque à ma collection. « Androgynie ambiguë ».

Le Regard des Autres

Dans ma jeunesse (collège et lycée, essentiellement, et encore un peu à la fac), je me suis construit·e “malgré” le regard des autres ; ce regard était quelque chose à supporter pour être moi-même, une sorte de prix à payer. Et c’est d’ailleurs ce prix qui m’a finalement stoppé jusqu’à “androgyne”. C’est récemment que j’ai retrouvé cette motivation à reprendre ce travail, à recommencer à avancer par vents contraires (famille, amis, travail… “société”) jusqu’à atteindre cet état, à trouver cette étiquette, “genderfluide”, que je continue à travailler tranquillement, dans mon coin, à étendre comme une collection de masques.

Je me suis donc construit·e “malgré” le regard des autres. À l’inverse, certaines personnes de mon entourage semblent animées d’une volonté presque politique de venir provoquer ce regard, là où moi, si le monde entier pouvait me ficher la paix et me laisser m’habiller comme j’en ai envie, je m’en porterais bien mieux.

Pourtant… Pourtant, je repense à la dernière vidéo de ContraPoints, au manque de modèle de masculinité alternative et non-oppressive… Ça donne envie de faire quelque chose. De montrer quelque chose. De démontrer. De prouver par son propre exemple. De faire de son existence un acte politique. Ça implique de ne pas fuir la masculinité, mais de revenir vers elle, de lui pardonner, et de la travailler. Je ne me sens pas vraiment de prendre cette responsabilité sur moi, mais je dois avouer que, quelque part… ça m’intéresse beaucoup.

Pour terminer mon anecdote, j’ai finalement pris le bus puis le métro et je me suis retrouvé·e en centre-ville, sur le chemin familier de la maison. Je n’ai pas changé mon accoutrement. Pour être honnête, j’ai un tout petit peu reboutonné ma chemise en montant dans le bus, parce que bon, quand même ! Mais j’ai gardé cette attitude ; je n’ai pas essayé de passer à nouveau ; je n’ai pas repris le chemin de la « féminité indubitable ».

Oui, il y a quelque chose de grisant à soutenir le regard des autres. À questionner activement les conceptions de genre qui nous entourent, même dans la rue. À mettre tous les cis qui nous croisent au défi de nous ranger dans une case, et à lire dans leurs yeux leur incapacité à le faire. Il y a cette jouissance à « faire bugger ». Cette confirmation limpide dans leur regard de ne plus être dans les cases, d’être en dehors du système, de le hacker. Ce n’est vraiment pas une attitude qui me soit familière, m’étant construit·e “malgré” ce regard extérieur. Mais il se pourrait que j’y prenne goût. Pas tout le temps ; parfois, peut-être. Eh, après tout, je suis fluide. Je fais ce que je veux !