Post-EndGame VoidPunk

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Contexte

Isabelle a encore commis un article, et ça tape pile dans mes réflexions récentes à propos de ma frustration face au paradoxe du play-to-lose. Accrochez-vous, on va parler de Void, de hors-champ et de transcendance !

Pour pouvoir suivre, il est conseillé d’avoir lu « Le Manifeste du Jeu Expressionniste » et mon article sur « Le Jeu VoidPunk ».

L’Endgame Expressionniste

Dans son récent article, Isabelle montre comment le jeu expressionniste contient plus ou moins explicitement sa propre fin de jeu (“endgame”) en encourageant les joueureuses (MJ plus ou moins inclus) à briser la proverbiale « cage » que posent les règles du jeu.

Pour résumer (et biaiser le sujet dans la direction que je vais attaquer dans un instant), lorsque les personnages brisent le cercle vicieux dans lequel iels sont enfermé·es : bien joué, victoire, fin de la partie. (Ce sont les moves matures de Monsterhearts, c’est tuer le Handler tyranique et/ou rejoindre les harpies transcendantes dans Girl Frame, c’est briser les règles d’une manière ou d’une autre pour sortir de ce que les règles vous forcent à vous infliger les un·es les autres.) D’un côté c’est une bonne chose que tout jeu contienne les matériaux de sa propre conclusion (vaste sujet, autre sujet), mais d’un autre côté, cet horizon indépassable (puisqu’atteindre la fin du jeu, c’est mettre fin au jeu) crée fatalement un hors-champ.

La Frustration du Paradoxe du Play-to-Lose

Ce chapitre a failli partir en article, si cette notion d’endgame expressionniste n’était pas venue m’aider à faire le lien avec le VoidPunk (mais j’avance un peu ; une chose à la fois).

J’ai récemment enchaîné plusieurs frustrations, qui ont toutes en commun d’avoir approché un jeu avec un mindset de play-to-lose (pardon, « une attitude jouer-pour-perdre »), et d’avoir heurté le paradoxe de la défaite comme fin du jeu. J’ai joué à un one-shot de Trophy Dark qui encourage clairement à s’exposer au danger (le fun est dans cette direction), mais qu’il fallait playtester, et donc il fallait ne pas mourir trop vite pour atteindre le dernier cercle (paradoxe : le fun cause aussi la fin prématurée du jeu). J’ai joué à Altération, qui expose les protagonistes à… l’altération, mais céder à l’altération (aka « être altéré·e ») provoque la fin du jeu (en tout cas pour le personnage altéré), et là aussi, le but étant de playtester la dimension longue de ce jeu à travers une petite campagne, il ne fallait pas y céder trop facilement, trop rapidement.

Plus généralement, le play-to-lose a ceci de paradoxal que le fun va dans la direction d’écourter la partie, et donc le fun. Et j’adore jouer play-to-lose, parce que c’est là, pour moi, que je trouve le plus de tension, de drama, de plaisir de jeu… de fun. J’aime jouer la méchante que les autres joueureuses adorent détester, j’aime jouer les personnages désespérés et les échecs grandioses, j’aime les monstres et j’aime me faire dévorer, contaminer, altérer.

Fort malheureusement, “perdre” est synonyme de fin de jeu. Ce qu’il arrive à nos personnages au-delà de la contamination, de l’altération, voire même de la mort, est, ici aussi, du hors-champ.

Le Void du Hors-Champ

Que ce soit la victoire du jeu expressionniste ou la défaite du play-to-lose, le jeu s’arrête là où, pour moi, il devient fun. Et plus largement que le JDR, beaucoup trop de fictions finissent là où j’aimerais qu’elles commencent. Le/la protagoniste est exposé·e à une chose étrange, résiste à son influence (éventuellement l’affronte), puis l’accepte (éventuellement la devient), et transcende. Fin.

(J’ai récemment eu ça avec la “première fin” de Silk Song, j’aurais tellement aimé pouvoir jouer cette version transcendante de Hornet au-delà du générique de fin. La lecture de Sorrowland, de Rivers Solomon, m’avait offert un sentiment très similaire : j’aurais aimé que toute cette mutation soit l’intro, et que la véritable histoire commence maintenant, là où finissaient les dernières pages.)

Je suis une créature qui existe au-delà de la fin. J’ai été un·e protagonite qui a traversé ces phases de découverte, résistence, acceptation, transcendence. (À de nombreuses reprises, pour de nombreuses dimensions, au point où je crois avoir développé une sorte de muscle de mutation qui me permet de traverser ces étapes de plus en plus aisément, avec moins de douleur et de cassures.) Je vis dans ce qui existe après la fin. Si ma vie était un film, j’en serai actuellement loin après le générique.

Briser la cage, c’est le endgame du jeu expressionniste. “Perdre”, c’est la conclusion du play-to-lose. Mais je ne veux pas que ce soit la fin. Je veux que ce soit la fin du prélude. Je veux que le jeu existe au-delà de la transcendance.

Oui, ouiii, d’accord, on peut imaginer la suite du film (c’est tout le propos d’une fin ouverte), on peut freeform roleplay en dehors des règles-cages (on peut freeform roleplay ce qu’on veut, d’ailleurs), mais moi j’en ai marre de n’exister qu’en dehors du cadre. C’est d’ailleurs tout le problème des marginalisations. J’existe dans le hors-champ. Dans le néant. Dans le Void.

C’est là où l’on voit les deux grandes dynamiques VoidPunk / Queer : assimilationnisme (revendiquer son humanité) ou dissidence (revendiquer son inhumanité). (J’ai toujours pas publié « Dynamiques VoidPunk », d’ailleurs…) Moi, je suis en dissidence : je ne veux pas m’intégrer ; je veux exister, et je veux exister tel·le que j’existe.

(Mélanie Fazi parle de « Nous qui n’existons pas ». Paye ton hors-champ !)

Le Néant n’est pas le Néant. J’existe dans le Néant. J’existe dans le hors-champ, dans l’après générique, dans le post-endgame. Je veux tisser cette trame de fiction dans laquelle je n’existe pas. Je veux écrire ces histoires qui commencent là où les autres finissent. Je veux écrire ces jeux qui existent après la fin, qui existent en dehors de la cage expressionniste brisée, après la défaite du play-to-lose, dans la fin ouverte de la narration de transcendance.

C’est ça, au fond, être VoidPunk, non ? C’est être tellement punk, tellement marginal·e, tellement en dehors du cadrage de l’humanité, qu’on est dans le néant. On est un Punk qui existe dans le Void. Là où l’histoire n’a pas été écrite, là où le film n’a plus d’image, là où le jeu n’a pas encore de règles.

Post EndGame

Et maintenant, comment on fait pour exister ? Pour lire une histoire qui n’a pas été écrite, pour jouer à un jeu qui n’a pas encore de règles ? Mais maintenant, c’est maintenant. Le futur n’existe pas. Le Void n’existe pas. Alors il faut l’inventer. Il faut refuser le générique de fin, refuser d’être un livre qu’on referme quand il n’a plus de page, refuser de mourir, ou au moins refuser que la mort soit la fin du jeu. Il faut tisser cette trame sous nos pas, pas après pas. Il faut apprendre à vivre dans le néant comme un vrai punk du Void, apprendre à écrire ses propres règles, à étendre la trame, à inventer jour après jour ce futur qui n’existe pas encore.

Okay, okay, mais comment ?

Créer.

Il faudrait écrire Harpy Frame, le chapitre 2 de Girl Frame, où quand tu butes ton Handler et que tu (re)deviens une harpie, le jeu ne s’arrête pas, il a juste des règles différentes. Il faudrait écrire des jeux de mort-vivants, de héros qui viennent de se faire buter, et qui essayent de trouver un sens à leur existence. Il faudrait écrire des jeux queers où les protags ont déjà fait leurs transitions, et sont dans le “et maintenant ?”. Il faudrait écrire des jeux play-to-lose où perdre ne met fin ni au jeu ni au personnage ; des jeux expressionnistes qui ont une « face B » dès qu’on brise la cage. Il faudrait écrire des jeux de monstres, de mutant·es, d’altéré·es.

Je veux des jeux post-endgame, post-transcendance, post-expressionistes.